Article dans Le Nouvel Obs – 4 juillet 2023

article Nouvel Obs - 4 juillet 2023

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Florentine Rey, la poé­tesse et per­for­meuse qui cherche des noises à Joachim du Bellay – Par l’é­cri­vain Raphaël Laiguillée – Publié le

Après avoir ima­gi­né sur scène un dia­logue avec le poète de la Pléiade, la poé­tesse publie « Pampilles », où elle laisse poindre son sens du lou­foque. C’est, selon notre contri­bu­teur Raphaël Laiguillée, son meilleur livre.

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Florentine Rey. (CHARLOTTE GHOISLOT)

A quoi res­sem­blait un poète il y a un demi-siècle ? Les vieux de la vieille et les vieilles du vieux temps vous répon­dront una­ni­me­ment : à un bipède de sexe mas­cu­lin, prof de son état, à la colle avec une dame qui assu­rait l’intendance, et qui écri­vait pen­dant ses temps libres des ouvrages qui, à l’ancienneté, lui vau­draient les hon­neurs d’un pres­ti­gieux prix de poé­sie (Apollinaire, Mallarmé, Max Jacob, Goncourt…). Il pour­rait alors mou­rir en paix, cer­tain de sa postérité.

C’était le règne glo­rieux des trois B (boire, bouf­fer, bai­ser), où les femmes étaient muses et assu­rées par là, elles aus­si, d’une cer­taine pos­té­ri­té : Albert me célé­brait du temps que j’étais belle !

Était-ce leur faute, aus­si, à ces bons­hommes, s’ils étaient les rois de ce petit milieu ? Non, reconnaissons-le. « Dans les pre­mières années du Castor astral, à la fin des années 1970, on publiait quatre cin­quièmes d’auteurs hommes, se sou­vient son fon­da­teur, Jean-Yves Reuzeau… mais c’est qu’on ne rece­vait que 15 % de manus­crits de femmes ! » Au fil des ans, la part des femmes est allée gran­dis­sant, au point qu’aujourd’hui, ce même édi­teur assure n’être plus loin de la pari­té. Pire, « par­mi les jeunes géné­ra­tions, les femmes se font davan­tage remar­quer que les hommes ». Et de citer Cécile Coulon (qu’il publie), une déjà roman­cière multi-primée qui, en 2018, à l’âge de 28 ans, reçoit le prix Guillaume-Apollinaire pour son livre Ronces. « Ça n’était jamais arri­vé et ça a fait un petit scan­dale. Ce prix allait à des poètes hommes à l’œuvre bien éta­blie. Et la voi­ci, jeune, jolie, talen­tueuse, qui passe à la télé, assure une chro­nique sur France-Inter… elle a déclen­ché de vives jalou­sies. Et on a ven­du 32 000 exem­plaires de “Ronces”. »

Le cas de Cécile Coulon est excep­tion­nel (en termes de ventes et de noto­rié­té), autant que celui de Laura Vasquez, éga­le­ment poète et roman­cière, qui a reçu cette année le prix Goncourt de la poésie.

Est-ce parce qu’elle jalouse le pres­tige de ses cadettes ? Florentine Rey, per­for­meuse, a tra­hi la cause et fait alliance avec une vieille barbe : Joachim du Bellay. « L’année der­nière, raconte-t-elle, année des cinq cents ans de la nais­sance de du Bellay, j’ai pos­tu­lé à une rési­dence du châ­teau de la Turmelière. J’étais per­sua­dée que l’équipe choi­si­rait un homme plus âgé, mais non ! » Elle met alors en place une conver­sa­tion poé­tique entre les sei­zième et vingt-et-unième siècles. Mieux qu’une conver­sa­tion, un dia­logue avec le poète de la Pléiade, qu’elle ven­tri­loque sur scène. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle y va fort. Elle lui reproche, l’impertinente, ses adjec­tifs trop nom­breux, ses alexan­drins ron­ron­nants, le prend à par­ti pour son « ô marâtre nature », au motif qu’aujourd’hui « on légi­fère pour que les fleuves, les arbres, les rochers deviennent des per­sonnes ». Puis elle lui raconte la nais­sance des ani­maux, et c’est là qu’elle lui fait voir qui c’est la patronne : « Tu veux savoir com­ment est née la mouche ? La mouche est née d’un éter­nue­ment. Quelqu’un a éter­nué et la mouche est appa­rue puis s’est mul­ti­pliée, aus­si conta­gieuse qu’un rhume. – Et le loup ? Entre chien et loup. Le loup est né d’une ambi­guï­té. – Et le chien ? – Le chien est né de la niche. » Suivent des révé­la­tions encore plus stu­pé­fiantes : « Dans le corps humain aus­si il y a des ani­maux. Les sour­cils ram­paient autre­fois sur des mousses avant de s’accrocher au-dessus de nos yeux. La mous­tache vivait avec eux mais, trop grosse pour grim­per jusqu’aux yeux, elle s’est conten­tée de cam­per sous le nez. »

Par ailleurs, Florentine Rey écrit des livres de poé­sie, faits de brèves fan­tai­sies « pour des bri­coles et mon cer­veau ». Par exemple : « chérie/ramasse les miettes/pendant que je m’occupe de ma carrière/comme ça dans quelques années/on pour­ra prendre une femme de ménage » (L’année du pied-de-biche, 2021)

« C’est beau la/trace du temps le trouble sur nos corps/vivants »

Avec son nou­veau livre, elle passe des pas­tilles pim­pantes aux pam­pilles. Les pam­pilles, ce sont des franges de pas­se­men­te­rie, des pen­de­loques. Des babioles tout pareil donc, mais dans « Pampilles », Florentine Rey serre ses proses dans une nou­velle forme : des car­rés de texte jus­ti­fiés à droite et à gauche. Et ce qui pour­rait n’apparaître que comme une variante for­melle cata­pulte une poé­tique sinon nou­velle, du moins renou­ve­lée, revi­vi­fiée. C’est comme si le mot arri­vé en tête rebon­dis­sait au fer à droite contre une paroi invi­sible et que de cette col­li­sion nais­sait une éner­gie mul­ti­pliée de la phrase : « la brume trans­porte à grande/vitesse ses phrases qu’on n’a pas le/temps de déchif­frer ». Pas le temps de déchif­frer, mais ça n’est grave, on revient aux bifurcations :

« tu offres une éponge en échange
quand tu presses des visages
tombent sur le trot­toir tu ramasses »

Ceci ? Cela ? Ceci et cela.

Prise de vitesse, l’autrice s’abandonne à un sens du lou­foque qui poin­tait dans ses pré­cé­dents livres. Dans « Pampilles », c’est plus franc, et c’est réjouis­sant : « le coude mou­ché on a déjà fait trois/fois le tour du nez (…) on a envie que ça conti­nue alors mieux/vaut finir et sor­tir fiè­re­ment du frigo ».

Les choses sérieuses ? Hélas, on ne peut pas le congé­dier. Alors on jette « les paroles sur le ton de la moutarde/au nez appuyé sur le monde qui s’effondre ». Et on s’interroge : « com­ment retrou­ver le/rythme pre­mier la pla­nète qui poussait/sous nos pieds quand on était bébé ? »

Heureusement, « dimanche c’est royal et/royale le tout très frais ». Et d’abord, « c’est beau la/trace du temps le trouble sur nos corps/vivants ». Florentine Rey est l’une des rares poètes qui donne de temps en temps de bonnes nou­velles de l’amour. Même si, « femme de proue qui prend le large », « bru­ta­le­ment jalouse » de sa liber­té, elle ne rou­coule pas à temps plein. Plusieurs textes évoquent sa vie de per­pé­tuelle nomade, de rési­dence en rési­dence (d’auteur), et les ren­contres au fil des ate­liers d’écriture, dans « les pas/perdus de celles qui à la dérive/n’ont pas sur­vé­cu sur le bout de ma langue. » (Une vie nomade que par­tagent un cer­tain nombre de jeunes femmes poètes qui ont déci­dé de ne pas faire d’enfants et de vivre de poé­sie… au risque d’une cer­taine précarité.)

D’un livre à l’autre s’affine un art très recon­nais­sable de l’attaque et de la chute, qui doit sans doute au tra­vail de pla­teau (on peut voir sur le site de la poète quelques-unes de ses pas­tilles scé­niques). Ainsi : « on plume/les mouches comme des dindes/on gar­de­ra leurs pattes pour écrire/des cartes de vœux ».

« Pampilles » est assu­ré­ment le meilleur livre de Florentine Rey, qui a gagné en force, en den­si­té… et en musi­ca­li­té. Écoutez ça :

« Forêt bleue en avril peuplée
d’oreillards et de sources qui escortent
des veines d’argile éclats de silex
dans gra­nit comme un grain de raisin »