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Florentine Rey, la poétesse et performeuse qui cherche des noises à Joachim du Bellay – Par l’écrivain Raphaël Laiguillée – Publié le
Après avoir imaginé sur scène un dialogue avec le poète de la Pléiade, la poétesse publie « Pampilles », où elle laisse poindre son sens du loufoque. C’est, selon notre contributeur Raphaël Laiguillée, son meilleur livre.
A quoi ressemblait un poète il y a un demi-siècle ? Les vieux de la vieille et les vieilles du vieux temps vous répondront unanimement : à un bipède de sexe masculin, prof de son état, à la colle avec une dame qui assurait l’intendance, et qui écrivait pendant ses temps libres des ouvrages qui, à l’ancienneté, lui vaudraient les honneurs d’un prestigieux prix de poésie (Apollinaire, Mallarmé, Max Jacob, Goncourt…). Il pourrait alors mourir en paix, certain de sa postérité.
C’était le règne glorieux des trois B (boire, bouffer, baiser), où les femmes étaient muses et assurées par là, elles aussi, d’une certaine postérité : Albert me célébrait du temps que j’étais belle !
Était-ce leur faute, aussi, à ces bonshommes, s’ils étaient les rois de ce petit milieu ? Non, reconnaissons-le. « Dans les premières années du Castor astral, à la fin des années 1970, on publiait quatre cinquièmes d’auteurs hommes, se souvient son fondateur, Jean-Yves Reuzeau… mais c’est qu’on ne recevait que 15 % de manuscrits de femmes ! » Au fil des ans, la part des femmes est allée grandissant, au point qu’aujourd’hui, ce même éditeur assure n’être plus loin de la parité. Pire, « parmi les jeunes générations, les femmes se font davantage remarquer que les hommes ». Et de citer Cécile Coulon (qu’il publie), une déjà romancière multi-primée qui, en 2018, à l’âge de 28 ans, reçoit le prix Guillaume-Apollinaire pour son livre Ronces. « Ça n’était jamais arrivé et ça a fait un petit scandale. Ce prix allait à des poètes hommes à l’œuvre bien établie. Et la voici, jeune, jolie, talentueuse, qui passe à la télé, assure une chronique sur France-Inter… elle a déclenché de vives jalousies. Et on a vendu 32 000 exemplaires de “Ronces”. »
Le cas de Cécile Coulon est exceptionnel (en termes de ventes et de notoriété), autant que celui de Laura Vasquez, également poète et romancière, qui a reçu cette année le prix Goncourt de la poésie.
Est-ce parce qu’elle jalouse le prestige de ses cadettes ? Florentine Rey, performeuse, a trahi la cause et fait alliance avec une vieille barbe : Joachim du Bellay. « L’année dernière, raconte-t-elle, année des cinq cents ans de la naissance de du Bellay, j’ai postulé à une résidence du château de la Turmelière. J’étais persuadée que l’équipe choisirait un homme plus âgé, mais non ! » Elle met alors en place une conversation poétique entre les seizième et vingt-et-unième siècles. Mieux qu’une conversation, un dialogue avec le poète de la Pléiade, qu’elle ventriloque sur scène. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle y va fort. Elle lui reproche, l’impertinente, ses adjectifs trop nombreux, ses alexandrins ronronnants, le prend à parti pour son « ô marâtre nature », au motif qu’aujourd’hui « on légifère pour que les fleuves, les arbres, les rochers deviennent des personnes ». Puis elle lui raconte la naissance des animaux, et c’est là qu’elle lui fait voir qui c’est la patronne : « Tu veux savoir comment est née la mouche ? La mouche est née d’un éternuement. Quelqu’un a éternué et la mouche est apparue puis s’est multipliée, aussi contagieuse qu’un rhume. – Et le loup ? Entre chien et loup. Le loup est né d’une ambiguïté. – Et le chien ? – Le chien est né de la niche. » Suivent des révélations encore plus stupéfiantes : « Dans le corps humain aussi il y a des animaux. Les sourcils rampaient autrefois sur des mousses avant de s’accrocher au-dessus de nos yeux. La moustache vivait avec eux mais, trop grosse pour grimper jusqu’aux yeux, elle s’est contentée de camper sous le nez. »
Par ailleurs, Florentine Rey écrit des livres de poésie, faits de brèves fantaisies « pour des bricoles et mon cerveau ». Par exemple : « chérie/ramasse les miettes/pendant que je m’occupe de ma carrière/comme ça dans quelques années/on pourra prendre une femme de ménage » (L’année du pied-de-biche, 2021)
« C’est beau la/trace du temps le trouble sur nos corps/vivants »
Avec son nouveau livre, elle passe des pastilles pimpantes aux pampilles. Les pampilles, ce sont des franges de passementerie, des pendeloques. Des babioles tout pareil donc, mais dans « Pampilles », Florentine Rey serre ses proses dans une nouvelle forme : des carrés de texte justifiés à droite et à gauche. Et ce qui pourrait n’apparaître que comme une variante formelle catapulte une poétique sinon nouvelle, du moins renouvelée, revivifiée. C’est comme si le mot arrivé en tête rebondissait au fer à droite contre une paroi invisible et que de cette collision naissait une énergie multipliée de la phrase : « la brume transporte à grande/vitesse ses phrases qu’on n’a pas le/temps de déchiffrer ». Pas le temps de déchiffrer, mais ça n’est grave, on revient aux bifurcations :
« tu offres une éponge en échange
quand tu presses des visages
tombent sur le trottoir tu ramasses »
Ceci ? Cela ? Ceci et cela.
Prise de vitesse, l’autrice s’abandonne à un sens du loufoque qui pointait dans ses précédents livres. Dans « Pampilles », c’est plus franc, et c’est réjouissant : « le coude mouché on a déjà fait trois/fois le tour du nez (…) on a envie que ça continue alors mieux/vaut finir et sortir fièrement du frigo ».
Les choses sérieuses ? Hélas, on ne peut pas le congédier. Alors on jette « les paroles sur le ton de la moutarde/au nez appuyé sur le monde qui s’effondre ». Et on s’interroge : « comment retrouver le/rythme premier la planète qui poussait/sous nos pieds quand on était bébé ? »
D’un livre à l’autre s’affine un art très reconnaissable de l’attaque et de la chute, qui doit sans doute au travail de plateau (on peut voir sur le site de la poète quelques-unes de ses pastilles scéniques). Ainsi : « on plume/les mouches comme des dindes/on gardera leurs pattes pour écrire/des cartes de vœux ».
« Pampilles » est assurément le meilleur livre de Florentine Rey, qui a gagné en force, en densité… et en musicalité. Écoutez ça :
« Forêt bleue en avril peuplée
d’oreillards et de sources qui escortent
des veines d’argile éclats de silex
dans granit comme un grain de raisin »