Revue Bacchanales N°62

Revue Bacchanales n°62

Thème : Frontières

Mot de l’éditeur :

Dans ce n° 62 de la revue Bacchanales, les poètes nous confrontent aux fron­tières, à toutes les fron­tières : géo­gra­phiques, his­to­riques, esthé­tiques, lin­guis­tiques, eth­niques, sociales, de genres, ima­gi­naires… À celles qui ne disent pas leurs noms, ancrées en nous, qui nous séparent de nous-mêmes, imposent limites, induisent notre rela­tion à soi, à l’autre, au monde. Et aus­si à celles qui seraient, devraient être pos­si­bi­li­tés d’échange, de ren­contres, de créa­tion d’un ter­reau com­mun pour un monde sans mur.

Extrait de la pré­face de Pierre Soletti, poète contemporain :

« La poé­sie c’est oser se renou­ve­ler à chaque poème. Peut-être même à chaque vers. Il faut oser se mouiller lorsqu’on écrit de la poé­sie (quand le reste du monde rêve seule­ment de pas­ser entre les gouttes). Créer c’est tra­ver­ser les fron­tières. Et les faire fran­chir à quelques uns si pos­sible pour que dans chaque silence, le vacarme des peaux cesse un ins­tant. Pour abattre les murs tabou por­tant. Pour feuille­ter les vagues, même si le degré zéro donne à la mer des remords sans ver­tige. […] Yves Olry, c’est de la pas­sion col­lée aux mains avec un peu de pein­ture ou de l’encre, comme les sales mômes. […] Au pre­mier coup d’œil, on voit que c’est l’art vivant qui l’agite : la poé­sie, le théâtre, les livres d’artiste, des choses curieuses. Et ce touche-à-tout mali­cieux, déli­cieu­se­ment anar et somp­tueu­se­ment contes­ta­taire, met son savoir-faire aux ser­vices des livres qu’il publie à son enseigne ou à celles des autres. Il est imprimeur-typographe, for­mé chez les com­pa­gnons et auto­di­dacte pour tout le reste. Il clame à qui veut l’entendre qu’il habite loin de chez lui. Mais qu’on habite loin ou près de chez soi, seules les bre­bis éga­rées n’iront pas à l’abattoir. »

Par des­sus bord

Touche mon épaule

Je ne pen­che­rai plus

dans l’errance

dans l’absence

Ta main est un refuge contre les figures trop défi­nies du dehors

Je vais de creux en crêtes

J’habite

sans me cou­vrir de murs

de toi­tures

Je mets en forme ce qu’offre le hasard

À l’aurore

je fouille le ciel avant que les oiseaux ne s’élancent

Touche mon ventre

Je cultive l’espace

Contre le temps corseté

besoin d’expansion et de beau

à vie

Mes visions se perdent sur des plaines isolées

S’effacent der­rière moi les hommes

et devant : le large

trop large

Touche moi
d’un mot ça suffira

à réduire les secousses

l’odeur d’ozone

à me faire des amis de coton

de ver­dure
de pierre

Nos mains
nos bouches
façon­ne­ront un corps

sans fron­tières intérieures.

Laisser-passer

Un bras méca­nique arrache
les mai­sons des racistes
et les repique en Syrie
au Niger
en Guinée.
Dans les trous
on enterre les migrants morts
en méditerranée.

Le ciel accueille les âmes en pleurs.
Il va pleu­voir à l’infini
à moins qu’un entre­pre­neur ne décide
de pom­per la Méditerranée
et ne déploie une autoroute.

Match nul

Parcourir des kilomètres

pour échap­per
au ver­rouillage identitaire

enjam­ber les frontières
Gibraltar-Royaume-Uni : 1 kilomètre
Italie-Vatican : 5 kilomètres
Allemagne-Danemark : 68 kilomètres
Albanie-Serbie : 112 kilomètres
Pologne-Russie : 206 kilomètres
Irak-Turquie : 352 kilomètres
Allemagne-Pays-Bas : 577 kilomètres
Bolivie-Pérou : 900 kilomètres
Brésil-Vénézuela : 1200 kilomètres
Khazkstan-Russie : 8846 kilomètres
on ne peut pas sortir
il n’y a pas de sortie
ne reste plus qu’à découper
la sil­houette de la sortie.